Billet 4, 2018 : Les approches pédagogiques actives

Les approches actives sont-elles applicables dans la pratique d’enseignement de l’anthropologie au collégial ?  

La réponse est oui. Comme le démontre admirablement Bates (2015) dans son livre Teaching in a Digital Age, toutes les méthodes d’enseignement, celles plus actives comme celles plus magistrales, possèdent des avantages pédagogiques propres et circonscrits dans un contexte donné. Sachant cela, il n’apparait plus pertinent de discriminer une méthode au profit d’une autre, mais bien de questionner la pertinence de celle-ci selon le contexte spécifique d’apprentissage. Ainsi, l’analyse préalable des besoins d’apprentissage est primordiale puisque c’est à partir de ceux-ci que l’enseignant pourra choisir la méthode la plus adaptée aux besoins des apprenants et au contenu à partager.

À la lumière de cette réflexion, la question posée plus haut se rhétorise et doit se transformer : comment les approches actives sont-elles applicables dans la pratique d’enseignement de l’anthropologie au collégial ?

En anthropologie, la tradition magistrale est préconisée en enseignement universitaire, mais semble être davantage diversifiée au collégial. Les défis associés à la clientèle étudiante varient d’un niveau d’enseignement à l’autre, de même que les objectifs d’apprentissage. Exploratoires au cégep et plus spécifiques à l’université, les objectifs façonnent les cursus et les approches choisies. Au collégial, les enseignants travaillent par approche-programme et doivent insérer les compétences disciplinaires parmi celles des autres cours de sciences humaines. Pour survivre, la discipline doit se démarquer et le choix des méthodes d’enseignement peu devenir un outil important pour ce faire. La plupart des enseignants sont portés sur des méthodes mixtes : cours magistraux et pédagogies actives se côtoient. Cela suffit-il à favoriser un apprentissage en profondeur ? J’en doute (et la réflexion qui suivrait cette affirmation pourrait faire l’objet d’un billet en soi). L’enseignement de l’anthropologie à l’université est d’avantage auto-suffisant parce que les cours sont portés par l’expertise spécifique de l’enseignant, dont la posture du sage on the stage (Clarke, 2008), bien ancrée dans la culture universitaire, résiste plus facilement aux changements de paradigmes en éducation.

Vue la nature multidisciplinaire de cette science et ses multiples spécialisations, une analyse globale des approches possibles me semble un point de départ satisfaisant pour cet exercice de réflexion. Le learning by doing, comme proposé par Pratt (1998) et explicitée par Bates (2015) permet à l’apprenant d’agir dans un contexte réel et de se mettre en action de manière authentique. L’étudiant en anthropologie pourrait, par exemple, interagir directement avec des membres d’une communauté linguistique différente de la sienne pour en apprendre davantage sur leurs pratiques culturelles (voir aussi l’apprentissage par aventure, telle que décrite par Doering, 2007).  Puisque l’humain est au cœur des apprentissages en anthropologie, le learning by feeling (Bates, 2015) me semble aussi une méthode toute indiquée pour enseigner, par exemple, les principes d’intervention culturelle auprès de communautés vulnérables. 

Pour nuancer mes propos et les exemples mentionnés pour soutenir ceux-ci, je tiens à préciser que les approches actives ne se traduisent pas nécessairement par des « activités » ; la mise en action de l’apprenant peut passer par l’engagement cognitif. Dans le même ordre d’idée, l’intégration du numérique en sciences peut soutenir n’importe quelle activité d’enseignement ou d’apprentissage, peu importe la méthode d’enseignement (Stockless, 2016).

En conclusion, je pose l’hypothèse qu’avec une analyse approfondie des besoins et avec de la créativité, tous les modèles d’enseignement peuvent se prêter à l’apprentissage de tous les contenus. Cela est particulièrement vrai dans les domaines multidisciplinaires ou les contenus sont variés et il revient à l’enseignant de faire un choix éclairé.


Références : 

Bates, T. (2015). Teaching in a Digital Age. https://opentextbc.ca/teachinginadigitalage/

Clarke, R.E. (2008). Entretien : à la recherche des ingrédients actifs de l’apprentissage.P. Dessus et P. Marquet
 
Doering, A. (2006). Adventure learning: Transformative hybrid online education. Distance Education, 27(2), 197-215.

Pratt, D. (1998) Five Perspectives on Teaching in Adult and Higher Education Malabar FL: Krieger Publishing Company

Stockless, A. (2016). Soutenir le processus d’apprentissage-enseignement des sciences avec un environnement numérique d’apprentissage.



Commentaires

  1. Edith, dans ton billet tu abordes plusieurs aspects théoriques importants de la pédagogie active. Celle qui m’interpelle le plus est certainement : « les approches actives ne se traduisent pas nécessairement par des « activités » ; la mise en action de l’apprenant peut passer par l’engagement cognitif ». Car, précisément, cet engagement cognitif est essentiel pour l’apprentissage, quelle que soit la forme que prend « l’action ». C’est d’ailleurs là , à mon avis, le plus gros défi dans la conception d’un cours ou d’un exercice.

    Par contre, je m’interroge sur ta proposition d’activité : « L’étudiant en anthropologie pourrait, par exemple, interagir directement avec des membres d’une communauté linguistique différente de la sienne pour en apprendre davantage sur leurs pratiques culturelles ». Par les temps qui court, ce type d’activité est très délicat à mener et peut facilement être accusé de tous les crimes culturels à la mode : appropriation culturelle, ghettoïsation, racisme, et je ne connais pas tous les mots en usages. Il s’agit d’un exemple fictif, donc le contexte n’est pas défini, mais il me semble que dans ce type d’application il vaut mieux penser à une pédagogie active qui implique une collaboration et qui place tous les acteurs engagés sur un pied d’égalité.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu as bien raison Carolle, il faut user de grande prudence aujourd'hui quand on aborde ces sujets (et quand on aborde les gens !). C'est un des défis de l'anthropologie, depuis toujours, car s'intéresser aux autres demande un contact avec les autres et celui-ci à parfois été teinté de racisme. D'ailleurs, l'éditorial de Susan Golberg, éditrice en chef du magazine National Geographic, dans une édition spéciale publiée en avril 2018, déplore cette tradition voyeuriste et raciste du journalisme ethnologique.

      Si l'activité que je mentionne dans mon billet venait à être mise sur place, les étudiants et moi devrons s'interroger sur les limites d'une telle activité et émettre des règles claires permettant le respect culturel.

      The Race Issue, National Geographic : https://www.nationalgeographic.com/magazine/2018/04/

      Supprimer

Enregistrer un commentaire