Les
approches actives sont-elles applicables dans la pratique d’enseignement de
l’anthropologie au collégial ?
La réponse est oui. Comme le démontre
admirablement Bates (2015) dans son livre Teaching in a Digital Age, toutes les
méthodes d’enseignement, celles plus actives comme celles plus magistrales,
possèdent des avantages pédagogiques propres et circonscrits dans un contexte
donné. Sachant cela, il n’apparait plus pertinent de discriminer une
méthode au profit d’une autre, mais bien de questionner la pertinence de
celle-ci selon le contexte spécifique d’apprentissage. Ainsi, l’analyse
préalable des besoins d’apprentissage est primordiale puisque c’est à partir
de ceux-ci que l’enseignant pourra choisir la méthode la plus adaptée
aux besoins des apprenants et au contenu à partager.
À la lumière de cette réflexion, la question
posée plus haut se rhétorise et doit se transformer : comment les
approches actives sont-elles applicables dans la pratique d’enseignement
de l’anthropologie au collégial ?
En anthropologie, la tradition magistrale
est préconisée en enseignement universitaire, mais semble être davantage
diversifiée au collégial. Les défis associés à la clientèle étudiante varient
d’un niveau d’enseignement à l’autre, de même que les objectifs
d’apprentissage. Exploratoires au cégep et plus spécifiques à l’université, les
objectifs façonnent les cursus et les approches choisies. Au collégial, les
enseignants travaillent par approche-programme et doivent insérer les
compétences disciplinaires parmi celles des autres cours de sciences humaines.
Pour survivre, la discipline doit se démarquer et le choix des méthodes
d’enseignement peu devenir un outil important pour ce faire. La plupart des
enseignants sont portés sur des méthodes mixtes : cours magistraux et
pédagogies actives se côtoient. Cela suffit-il à favoriser un apprentissage en
profondeur ? J’en doute (et la réflexion qui suivrait cette affirmation
pourrait faire l’objet d’un billet en soi). L’enseignement de
l’anthropologie à l’université est d’avantage auto-suffisant parce que les
cours sont portés par l’expertise spécifique de l’enseignant, dont la posture
du sage on the stage (Clarke, 2008), bien ancrée dans la culture
universitaire, résiste plus facilement aux changements de paradigmes en
éducation.
Vue la nature multidisciplinaire de cette
science et ses multiples spécialisations, une analyse globale des approches
possibles me semble un point de départ satisfaisant pour cet exercice de
réflexion. Le learning by doing, comme proposé par Pratt (1998) et
explicitée par Bates (2015) permet à l’apprenant d’agir dans un contexte réel et de se mettre en action de manière authentique. L’étudiant en
anthropologie pourrait, par exemple, interagir directement avec des membres
d’une communauté linguistique différente de la sienne pour en apprendre
davantage sur leurs pratiques culturelles (voir aussi l’apprentissage par aventure, telle que décrite par
Doering, 2007). Puisque l’humain est au cœur des apprentissages en
anthropologie, le learning by feeling (Bates, 2015) me semble aussi une
méthode toute indiquée pour enseigner, par exemple, les principes
d’intervention culturelle auprès de communautés vulnérables.
Pour nuancer mes propos et les exemples
mentionnés pour soutenir ceux-ci, je tiens à préciser que les approches actives
ne se traduisent pas nécessairement par des « activités » ; la mise en action
de l’apprenant peut passer par l’engagement cognitif. Dans le même ordre
d’idée, l’intégration du numérique en sciences peut soutenir n’importe quelle
activité d’enseignement ou d’apprentissage, peu importe la méthode d’enseignement
(Stockless, 2016).
En conclusion, je pose l’hypothèse qu’avec
une analyse approfondie des besoins et avec de la créativité, tous les modèles
d’enseignement peuvent se prêter à l’apprentissage de tous les contenus. Cela
est particulièrement vrai dans les domaines multidisciplinaires ou les contenus
sont variés et il revient à l’enseignant de faire un choix éclairé.
Références :
Bates, T. (2015). Teaching
in a Digital Age. https://opentextbc.ca/teachinginadigitalage/
Clarke, R.E. (2008). Entretien : à la recherche des ingrédients actifs de
l’apprentissage.P. Dessus et P. Marquet
Doering, A. (2006). Adventure learning:
Transformative hybrid online education. Distance Education, 27(2),
197-215.
Pratt, D. (1998) Five
Perspectives on Teaching in Adult and Higher Education Malabar FL: Krieger
Publishing Company
Stockless, A. (2016). Soutenir le processus d’apprentissage-enseignement
des sciences avec un environnement numérique d’apprentissage.
Edith, dans ton billet tu abordes plusieurs aspects théoriques importants de la pédagogie active. Celle qui m’interpelle le plus est certainement : « les approches actives ne se traduisent pas nécessairement par des « activités » ; la mise en action de l’apprenant peut passer par l’engagement cognitif ». Car, précisément, cet engagement cognitif est essentiel pour l’apprentissage, quelle que soit la forme que prend « l’action ». C’est d’ailleurs là , à mon avis, le plus gros défi dans la conception d’un cours ou d’un exercice.
RépondreSupprimerPar contre, je m’interroge sur ta proposition d’activité : « L’étudiant en anthropologie pourrait, par exemple, interagir directement avec des membres d’une communauté linguistique différente de la sienne pour en apprendre davantage sur leurs pratiques culturelles ». Par les temps qui court, ce type d’activité est très délicat à mener et peut facilement être accusé de tous les crimes culturels à la mode : appropriation culturelle, ghettoïsation, racisme, et je ne connais pas tous les mots en usages. Il s’agit d’un exemple fictif, donc le contexte n’est pas défini, mais il me semble que dans ce type d’application il vaut mieux penser à une pédagogie active qui implique une collaboration et qui place tous les acteurs engagés sur un pied d’égalité.
Tu as bien raison Carolle, il faut user de grande prudence aujourd'hui quand on aborde ces sujets (et quand on aborde les gens !). C'est un des défis de l'anthropologie, depuis toujours, car s'intéresser aux autres demande un contact avec les autres et celui-ci à parfois été teinté de racisme. D'ailleurs, l'éditorial de Susan Golberg, éditrice en chef du magazine National Geographic, dans une édition spéciale publiée en avril 2018, déplore cette tradition voyeuriste et raciste du journalisme ethnologique.
SupprimerSi l'activité que je mentionne dans mon billet venait à être mise sur place, les étudiants et moi devrons s'interroger sur les limites d'une telle activité et émettre des règles claires permettant le respect culturel.
The Race Issue, National Geographic : https://www.nationalgeographic.com/magazine/2018/04/