J’ai pensé analyser ma pratique (bien
bourgeonnante) en identifiant la théorie sous-jacente à telle ou telle activité
présente dans mon cours d’introduction à l’anthropologie. C’est vrai, lorsque je
demande à mes étudiants de construire eux-mêmes une définition de
l’anthropologie puis de la comparer à celle de leurs collègues, je favorise
la confrontation d’idées qui porte l’étiquette socio-constructiviste
(Perret-Clermont et Nicolet, 2001). C’est vrai, lorsque je leur demande de
choisir des mots-clefs dans un texte, puis de construire un schéma pour
représenter leur conception d’une idée, je situe ma pratique plutôt sous
l’ombrelle du constructivisme (Jonnaert, 2006). C’est vrai, lorsque je leur
demande d’évaluer leur perception de la difficulté d’un examen, de justifier
leur perception et de réfléchir aux causes qui les mènent à trouver l’examen
facile ou difficile, je sollicite l’activation de stratégies métacognitives,
centrales dans l’apprentissage proposé par le cognitivisme (Rocheleau, 2009).
C’est vrai, lorsque que je demande aux étudiants de déposer leurs fiches de
lecture sur un espace en ligne de dépôt collectif pour que tous leurs collègues y aient
accès et puissent les utiliser pour documenter leur propre recherche,
j’implante une communauté d’apprentissage (peut-être simple, soit !, mais tout
de même un réseau) qui rappelle les idées proposées par le connectivisme
(Siemens, 2005).
Mais j’ai envie de renverser le gâteau.
Pourquoi ne pas porter un regard sur les
théories de l’apprentissage en les appliquant toutes au même exemple d’une
activité que je pourrais proposer à mes étudiants. Voici la mise en situation :
pour distinguer les grands moments de la préhistoire et de l’histoire humaine,
les étudiants doivent faire une ligne du temps. Plusieurs scénarios sont
possibles :
1)
Si les étudiants sont amenés à
recopier une ligne du temps déjà existante et à en mémoriser les éléments en
vue d’un examen, ils sont soumis à une activité béhavioriste (Bélanger, 1978).
2)
Si les étudiants sont amenés à
vivre eux-mêmes des moments clefs du paléolithique ou du néolithique (imaginons
ici qu’on puisse reconstituer des scènes de la vie réelle du passé de
l’humanité, ou de faire sauter les étudiants dans une machine à remonter le
temps, soyons fous), pour ensuite créer une ligne du temps traduite de leurs
propres expériences, ils sont soumis à une activité constructiviste. Si les
étudiants doivent confronter leurs expériences individuelles pour arriver à un consensus, ils sont soumis à une activité socio-constructiviste.
3)
Si les étudiants reçoivent des
morceaux de la ligne du temps, comme un puzzle, et qu’ils doivent les organiser
d’une manière à la reconstruire selon leurs buts d’apprentissage, ils sont
soumis à une activité cognitiviste.
4)
Si les étudiants doivent chercher,
entre autres à l’aide d’outils numériques, et sélectionner eux-mêmes les
moments clefs à insérer dans la ligne du temps, et à expliciter les liens entre
ces choix, ils sont soumis à une activité à tendance
connectiviste.
Je ne suis pas certaine d’avoir réussi
l’exercice que je me suis imposée. Peut-être ai-je trop simplifié les théories
? Par contre, j’aurai certainement réussi à me rendre compte, à mon grand
désarroi, que l’activité de la ligne du temps que je propose habituellement à
mes étudiants est loin d’être centrée sur l’apprenant ! Toutes les théories
ne s’équivalent pas d’un point de vue de l’apprenant, même si les frontières
entre elles sont perméables (je précise que cette phrase avait écrite avant que
M. Stockless ne la prononce mot pour mot lors de notre rencontre collective !).
Il me semble alors limitant pour l’apprentissage de se réduire à un seul cadre
théorique.
Références:
Bélanger, J. (1978). Images et réalités du béhaviorisme. Philosophiques,
5 (1), 3-110
Jonnaert, P. (2006). Constructivisme, connaissances et savoirs. Transfert,
(3), 5-20.
Perret-Clermont, A.N. et Nicolet, M. (2001). Interagir et connaitre :
enjeux et régulations sociales dans le développement cognitif. Paris : Éditions
L’Harmattan.
Rocheleau, J. (2009). Les théories cognitivistes de l’apprentissage.
Siemens, G. (2005). Connectivism: A Learning Theory For The Digital Age. International Journal of Instructional Technology and Distance Learning,
2(1), 3-10.

Édith,
RépondreSupprimerLa déclinaison d’une mise en situation en fonction de chaque théorie de l’apprentissage est originale et amène une dimension intéressante à la réflexion. Personnellement, j’ai un peu de difficulté à la faire puisque je ne peux pas m’empêcher de revenir à l’importance de l’analyse préliminaire qui, en principe, devrait déboucher sur une stratégie plutôt qu’une autre selon les besoins d’apprentissage visés par le cours.
Établir une chronologie des moments de la préhistoire et de l’histoire humaine selon chacune des théories n’aboutit pas aux mêmes résultats d’apprentissage. Il me semble donc que cet exercice aurait avantage à être fait à partir des besoins et non de l’activité elle-même.
Enfin, j’ai des réserves concernant la version connectiviste que tu proposes. Cette théorie est plus complexe et surtout totalement décloisonnée et devrait, il me semble, partir du début en proposant aux apprenants et aux apprenantes : comment peut-on représenter l’évolution humaine?
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerMerci pour votre commentaire Carolle,
RépondreSupprimerJ’ai réalisé, comme tu l’évoques, que l’analyse préliminaire des besoins d’apprentissage a été évacuée de ma réflexion. C’est un oubli en partie causé par méconnaissance (temporaire !) des étapes de design pédagogique et, alors que je lisais ton commentaire, je me suis souvenue t’avoir entendu évoquer l’importance de cette étape. J’en comprends maintenant toute la pertinence, puisqu’en effet, les besoins d’apprentissage doivent être au coeur des décisions pédagogiques. Merci pour le rappel !
Concernant le connectivisme, je suis curieuse de savoir si votre commentaire émerge de la lecture de ma carte conceptuelle.
Edith
Moi, j'ai juste le gout de visionner un épisode de Doctor Who. Mais je ne peux pas, car j'ai un travail à faire ;-)
SupprimerHaha ! J'ai dû "googler" Doctor Who pour comprendre la référence ! Je suis assez en retard dans mes connaissances en culture populaire télévisée. Je suis une fausse "millennial" ...
SupprimerMerci Marie-Josée pour la mise à jour !
Et voilà une belle illustration! J’ai lu ton texte, relu, relu, … et je ne m’en lasse pas! Vous mentionnez tout simplement, si ma compréhension est bonne, l’inutile exercice de se prêter à une confrontation, parfois radicale des différents courants des théories d’apprentissage. Qui plus est, ne met-on pas plutôt l’enseignant dans une zone d’inconfort lorsqu’il est appelé, comme le recommandent les courants réformateurs, à produire un cadre d’apprentissage efficace fondé à la fois sur la construction des savoirs centrée sur l’apprenant et sur l’acquisition de compétences collectives donc en partie préétablies de l’extérieur? Ne réduit-on pas sa réflexion pédagogique lorsque veut le pousser à faire le deuil de certaines théories? Pour moi, une théorie en vaut une autre et chacune ne vaut son pesant d’or que selon sa pertinence dans l’approche pédagogique de l’enseignant et ce, dépendamment de la matière enseignée. Plutôt que de privilégier une au détriment des autres (ce qui n’est pas forcément mauvais en soi, dépendamment du cours qu’on donne), ce qui parait judicieux, c’est comme le soutenait notre collègue Carolle dans son analyse sur les changements de paradigmes et selon qui « (…) il appartient à l’enseignant de doser leur utilisation des théories avec justesse et d’adapter leurs principes de façon que les apprenants et les apprenantes atteignent les besoins d’apprentissage déterminés par les objectifs d’apprentissage ».
RépondreSupprimerBravo Édith
Je suis tout à fait d’accord avec Carolle et toi : les objectifs et les besoins d’apprentissage sont le catalyseur de toute décision prise concernant l’enveloppe théorique d’un cours. Je crois que si l’enseignant doit sortir de sa zone de confort, comme adopter une méthode moins maitrisée, pour satisfaire les projets d’apprentissage des apprenants, alors le « deuil » que tu mentionnes est une étape nécessaire et très probablement enrichissante. Comme tu l’écris très bien, il me semble inutile de confronter les théories en ayant comme but la discrimination totale d’une forme ou d’une autre d’enseignement. Enfin, Bates (2015) l’affirme aussi : il est préférable de choisir une pratique, même si la pratique n’émane pas directement d’une théorie, qui s’associe au modèle de design répondant aux besoins d’apprentissage. En statistiques, on dirait le « best fitting model ».
SupprimerMerci pour votre message Toumany !