Il est
difficile d’envisager une discussion sur les paradigmes en éducation sans
effleurer, à tout le moins, quelques notions léguées par les sciences humaines,
dont la psychologie cognitive et l’anthropologie, sur la construction du
savoir. N’est-ce pas là le cœur de notre présente préoccupation ?
Les sciences
cognitives, plus particulièrement les théories du traitement de l’information,
nous ont appris que la chaîne d’activités mentales menant à la construction
symbolique, de la perception sensorielle du stimulus à l’encodage dans la
mémoire à long terme, doit nécessairement inclure les acquis antérieurs pour produire un nouveau savoir (Crahay, 1996 dans Gauthier et al., 2008). Les
savoirs, savoir-faire et savoir-être déjà acquis par le sujet apparaissent donc
comme des éléments essentiels à la construction de nouvelles connaissances, et
donc au processus d’apprentissage. Il est donc nécessaire de posséder un
cerveau ayant tous les outils nécessaires à cette chaîne de travail pour créer
de nouvelles connaissances. L’humain possède un tel cerveau.
Bien que la
culture intellectuelle des Lumières ait donné forme au système d’instruction
public actuel, l’apprentissage fait partie du bagage comportemental du genre Homo
depuis des millions d’années; c’est d’ailleurs une caractéristique qu’il
partage avec une grande partie du règne
animal (dont nos proches parents, les primates). C’est donc
bien avant le 18e siècle que les enfants se sont trouvés en contexte
d’apprentissage. Depuis toujours, le processus de socialisation permet à
l’individu d’acquérir, de manière formelle ou informelle, des manières d’être
et d’agir, de faire et de penser partagées par sa collectivité (Denis et al.,
2013, p.13). Un « être social » le devient donc par apprentissage et
Kant, de son temps, l’avait énoncé ainsi : « L’homme ne devient homme que par l’éducation, les sciences de l’éducation
prennent chaque jour davantage la mesure de cette fabrique de l’humain »
(Martinez, 2005).
L’éducation
n’est donc pas chose que l’esprit humain aie ignorée depuis toujours, et,
plutôt même, revêt une importance centrale dans l’organisation sociale de
plusieurs peuples à travers le temps. Cependant, nous vivons aujourd’hui une
révolution quant à notre rapport à l’éducation et à la construction du savoir,
pour paraphraser Sir K. Robinson,
professeur en enseignement des arts, auteur et conférencier. Comme il le
souligne lui-même dans une
de ses conférences, nous vivons actuellement la période la plus stimulante
de l’histoire (et de la préhistoire
) de l’humanité, mais l’instruction offerte à l’école ne semble plus du tout
correspondre aux besoins motivationnels des futurs citoyens, employés et
penseurs. Robinson offre une fracassante entrée en la matière et pose une
question tout autant saisissante : l’école anesthésie-t-elle le potentiel
créateur des enfants ?
Une citation de Robinson guide ma réflexion : « we should be
waking them [our children] up to what is inside of themselves ». Je comprends
ici que Robinson fait référence à ce potentiel créateur qui supporte la
capacité d’une pensée divergente que tous les enfants semblent posséder, mais
qui tend à diminuer alors que les années d’instruction scolaire s’accumulent
chez un élève. J’en arrive à me poser la question suivante : les
changements de paradigmes en éducation se traduisent-ils réellement par des
pratiques concrètes en classe (ou en ligne!) ? Ces changements conceptuels
dont nous discutons sont-ils réellement au service de cet « éveil »
dont parle Robinson, éveil individuel mais aux répercussions collectives, sur
l’apprentissage différent ? Passer d’une approche centrée sur l’enseignement
vers une approche centrée sur l’apprenant permettrait possiblement un
glissement vers cet apprentissage différent.
Une
discussion plus étayée sur le sujet aurait comme objectif de favoriser la thèse
de l’éveil individuel en se questionnant sur les orientations pédagogiques à privilégier, c’est-à-dire celles qui
semblent les plus probantes pour améliorer la qualité de l’enseignement et
l’apprentissage des élèves (Gauthier et al., 2008). Mais cela, pas
nécessairement au profit d’un changement de paradigme, comme le proposent
Gauthier et al. (2008 ) : « passer du paradigme de l’enseignement à
celui de l’apprentissage est bien fondé, si les propositions pédagogiques mises
de l’avant par le paradigme de l’apprentissage sont validées sur le plan
scientifique et [...] démontrent sans ambiguïté les avantages et la nécessité
de modifier substantiellement les pratiques pédagogiques centrées sur
l’enseignement (enseignement traditionnel, enseignement explicite) au profit de
celles centrées sur l’apprenant (pédagogie du projet, tâches complexes et
authentiques) ».
Le changement
de paradigmes en éducation m’interpelle dans l’éventualité qu’il ait de réelles
répercussions sur les pratiques d’enseignement et d’apprentissage. Pour moi, un
changement de paradigme doit nécessairement se traduire par un changement
substantiel des activités au profit d’un « meilleur » apprentissage,
qui pourrait bien se conjuguer, je crois, avec cet éveil à la pensée
divergente. On pourrait alors s’entendre pour un petit plaidoyer contre
l’anesthésie à l’école.
Références
Denis, C.,
Descent, D., Fournier, J. & Millette, G. (2013). Individu et société. (5e
éd.) Montréal : Chenelière Éducation. 344 pages. Gauthier, C., Bissonnette, S., Richard, M. (2008). Passer du paradigme de l'enseignement au paradigme de l'apprentissage - Les effets néfastes d'un slogan ! dans La recherche au service de la formation des enseignants, (dir. Abdeljalil Akkari et M'hammed Mellouki) - Actes de la recherche de la HEP-BEJUNE, n° 7 (p 239-271).
Martinez, M-L. (2005). Approche(s) anthropologique(s) des savoirs et des disciplines. Tréma [Enligne], 24.
Je partage profondément l’importance du constructivisme donné dans cet article. En réalité, même si on ne le nomme pas formellement ou qu’on l’ignore parfois, le changement actuel du paradigme facilité par les nouvelles technologies me semble dans la lignée du constructivisme. Comme plusieurs articles l’on rapporté, la majorité des jeunes apprenants actuels travailleront sur des métiers qui n’existent pas encore (Chomal & Saini, 2013 ; Jensens, 2016). Dans ces conditions, il est difficile de prétendre leur donner des connaissances correspondant à ces métiers mais plutôt des connaissances dont ils pourront se servir pour en avoir des nouvelles. L’utilisation même des nouvelles technologies par l’apprenant pour acquérir des nouvelles connaissances illustre qu’il est un agent actif. C’est notamment cette réalité qui contribue à l’explosion de nombreux cours en ligne comme les MOOC (Massive Open Online Course) ou des vidéos de partage de connaissance sur Youtube, vimeo ou encore tout ce qu’on peut apprendre sur Internet de manière générale. Chacun choisit ce qu’il veut apprendre en fonction de ses besoins qui sont souvent liés à des situations réelles (Ex : comment peindre une chambre à coucher). On est effectivement dans un contexte où on trouve les 4 composantes de base du constructivisme présenté par Loyens, Rikers, et Schmidt (2008) : construction du savoir, apprentissage coopératif, apprentissage auto-régulé et un problème de la vie réelle. L’étudiant interagit avec les autres et, en fonction de son environnement, des objectifs qu’il se fixe ou des situation concrètes, construit des nouvelles connaissances. L’enseignant n’est plus là pour s’imposer mais pour faciliter ou guider l’apprenant (Schreurs & Al-Huneidi, 2012).
RépondreSupprimerRéférences
Chomal, V., & Saini, J. (2013, 01). A study and analysis of paradigm shifts in education triggered by technology. , 3 , 14-28.
Jensens, E. (2016). Paradigm shift in education [blog]. Education Trends. Consulté le 2018-09-23, sur http://blog.theeducationpartners.com/paradigm-shift-in-education
Loyens, S. M. M., Rikers, R. M. J. P., & Schmidt, H. G. (2008, 01 Sep). Re-lationships
between students’ conceptions of constructivist learning and their regula-
tion and processing strategies. Instructional Science, 36 (5), 445–462. Consulté sur https://doi.org/10.1007/s11251-008-9065-6 doi: 10.1007/s11251-008-9065-6
Schreurs, J., & Al-Huneidi, A. (2012, Sept). Design of learner-centered constructivism based learning process. In 2012 federated conference on computer science and information systems (fedcsis) (p. 1159-1164).